L’hydroxyde de nickel α

ou le jeu des 7 erreurs

 

Version 4.1_page 83-21_ mai 2023

 

Origine du projet des "7 erreurs"

 

A l’occasion d’un survol des articles scientifiques parus récemment dans les hebdomadaires, je suis tombé sur un article traitant du graphène, qui est une couche de graphite en deux dimensions.

Ce produit est un matériau extraordinaire par sa structure et ses propriétés : 200 fois plus résistants que l’acier, excellent conducteur…

Si on rajoute des atomes d’hydrogène, ceux-ci se répartissent de manière assez équitable entre les deux côtés : c’est le graphane, qui, lui, est un isolant.

 

Cette structure en deux dimensions n’est pas nouvelle.

Déjà en 1990, lors d’une visite des laboratoires de chimie de l’Ecole Polytechnique, les chercheurs exposaient leurs travaux sur des structures de carbone « turbostratique ». Ce qui veut dire plusieurs couches empilées, mais en désordre.

En les séparant on obtenait le graphène. Ils auraient pu voir le prix Nobel…

 

Mais il y a 50 ans déjà….

 

Les 7 erreurs

 

Comme on est dans une période de commémoration

 

Il y a bientôt 50 ans, en janvier 1974,  j’ai soutenu une thèse sur la structure de l’hydroxyde de nickel. Les travaux ont été menés dans le laboratoire de Chimie des Solides du Pr Amiel, à la Sorbonne d’abord, puis à Paris 6 (PMC) ensuite (aujourdh'ui PSL).

Ils étaient financés par une bourse de thèse du CEA et dirigés par le professeur Figlarz, de l’université de Picardie.

Au départ il s’agissait de faire des expériences sur l’hydroxyde de nickel, identiques à celles déjà en cours au laboratoire sur l’hydroxyde de cobalt.

Mais...

 

Première erreur

 

Les travaux ont commencé en septembre 1968.

Le laboratoire étant essentiellement tourné vers les structures des matériaux pulvérulents, la bibliographie a été limitée aux articles traitant surtout de structures cristallines,  notamment celles des argiles, en négligeant les autres aspects et plus particulièrement le côté électrochimique.

Or il y a un article de 1966, qui parlait déjà de produits similaires.

 

Deuxième erreur     

 

Ensuite il a fallu préparer des échantillons.

Je n’ai pas vérifié la présence d’impuretés. Il n’y en avait pas dans l’hydroxyde de cobalt et je n’ai pas pensé qu’il  pouvait y en avoir dans l’hydroxyde de nickel.

Au lieu d’un produit bien cristallisé, j’ai obtenu une sorte de boue.

Cela a modifié complètement le déroulement de la thèse, mais comment transformer cette boue en or ?

 

Troisième erreur

 

Comme dans beaucoup de cas similaires il a fallu trouver un nom de guerre.

Nous avons choisi d’appeler cette boue « hydroxyde de nickel turbostratique », faisant ainsi référence à des travaux réalisés par un chercheur américain, M. Warren. Il est d’ailleurs venu assister à une conférence à Marseille en 1971 et j’ai donc pu le rencontrer.

Ce nom, qui nous convenait dans notre cercle restreint, était finalement trop compliqué.

Pour tous les chercheurs on parle désormais d’hydroxyde  « α » et l’hydroxyde normal est devenu l’hydroxyde « β » ; c’est bien plus simple. Cela se remarque surtout dans les schémas réactionnels.

 

Quatrième erreur    

 

On est passé à côté des structures bidimensionnelles, mais de peu. En effet l’hydroxyde « α » est constitué d’un empilement plutôt lâche de feuillets bidimensionnels

Grâce au soutien de Louis Néel (prix Nobel de Physique) et de ses équipes, il a été possible de suivre l’évolution des caractéristiques magnétiques de l’hydroxyde « α » quand on augmente la distance entre les feuillets.

On arrivait progressivement à une structure quasi-bidimensionnelle. Quel nom lui aurait-on donné ? l’hydroxyde  « Ω » par exemple.

Le contrat avec le CEA arrivant à son terme il n’a pas été possible d’atteindre cet objectif, mais j’aurais pu tenter quelques expériences exploratoires.

A ma décharge il faut reconnaître que la méthode utilisée présentait des risques importants d’explosion.

 

Cinquième erreur    

 

L’une des caractéristiques du laboratoire était l’utilisation d’un autoclave pour travailler sur la croissance des matériaux pulvérulents par synthèse hydrothermale, puis leur décomposition en oxyde très finement divisé. Sous atmosphère d’hydrogène on avait même la possibilité de réduire le tout au niveau du métal.  Ce volet n’a pas été approfondi, mais le concept de  nanoparticules était déjà présent dans le projet. Il restait à inventer le nom.

 

Sixième erreur

 

La sixième erreur a été le manque de vision dans les applications potentielles.  

Aujourd’hui le produit est surtout étudié pour la fabrication de batteries, mais aussi dans celle de nanoparticules.

En fait c’est le volet « marketing » de la thèse, qui a été négligé. A l'époque cela ne faisait pas partie des cours dispensés dans les écoles d'ingénieur comme l'ESPCI.

 

Septième erreur      

 

La dernière erreur a été d’avoir coupé les contacts avec les anciens collègues.

 

 

Conclusion

 

Ce qui était une curiosité de laboratoire est devenu aujourd’hui une base de travail pour de nombreux chercheurs dans pratiquement tous les pays.

Sans forcer la note et sans avoir fait de recherche approfondie sur le sujet,  il doit bien y a voir une dizaine de laboratoires, qui travaillent actuellement sur l'hydroxyde de nickel  « α » (répartis un peu partout dans le monde) et ce produit a probablement nourri plus d'une centaine de chercheurs depuis près de 50 ans. Déjà en 2015, 40 ans après ma thèse, des chercheurs canadiens autour de D. S Hall ont publié un document assez détaillé sur l'hydroxyde de nickel comportant une cinquantaine de pages et 263 références, dont 4 articles à mon nom.

 

Le qualificatif  "turbostratique" semble aujourd'hui limité à deux familles de produits  : les argiles et le carbone finement divisé avec quelques articles sur le nitrure de bore. Je  n'ai pas trouvé de référence aux travaux de M. Warren mais cela date d'une époque où l'informatique était à ses débuts.