6 expériences en 9 ans

 

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Il n'est pas question de détailler les évènements de 1991 à 2000, qui restent propriétés de la société BEISSIER mais de signaler les situations qui peuvent conduire à des conflits, quel que soit l'environnement. Aurait-on pu les éviter?

1_ Cela a commencé par une grève,

2_ il y a eu ensuite la création d'un centre de formation pour les peintres

3_ puis l'absorption de l'usine SRS de Nemours

4_ la fabrication de colles carrelages

5_ les conséquences de la trop grande dispersion des activités

6_ le déménagement du siège social de Paris à La Chapelle La Reine

 

la grève de bienvenue

 

Peu après mon arrivée il y a eu une grève motivée par un problème de primes que m'avait laissé le précedent directeur. M. Sion a fait appel alors à un ami, qui n'était autre que l'ancien chef du personnel de Pierrefitte-Auby. J'avais dû le rencontrer fin 1973 lors d'un entretien d'embauche; Il m'a reconnu, moi pas.

Ensemble nous avons mis en place un système de qualification basé sur les coefficients de l'UIC (nous n'en faisions pas partie mais c'est toujours utile de pouvoir se servir du travail des autres). 

 

Il y avait 4 niveaux :

_ je viens d'arriver

_ je sais faire

_ je sais contrôler mon travail

_ je sais former les nouveaux arrivés

 

Les ouvriers des différents ateliers ont été classés selon les 4 catégories et le résultat a été affiché dans chacun des ateliers sous la forme d'un tableau mis à jour périodiquement par le contremaître. Chacun pouvait voir ainsi comment il était classé etquel était le salaire des autres ouvriers (il n'y avait pas de distinction Homme/Femme).

 

La valeur du point a été fixée au départ à 10% au dessus de celui de l'UIC, lui même garantissant un salaire au dessus du SMIC (ce n'était pas tout à fait vrai).

 

Nous avons aussi mis en place avec l'Union Patronale 77 une formation pour essayer d'amener les ouvriers au niveau Bac Pro (français, mathématiques, physique et chimie). Elle avait lieu le vendredi matin.

 

Conclusions : 

_ fin de la grève

_ certains ouvriers ont vu leur paie augmenter de 50%

_ hausse significative de la productivité, qui a absorbé les surcoûts générés

_ meilleure ambiance de travail

 

Par contre

 

_ il fallait être motivé et, si tout le personnel a été sollicité, plusieurs ouvriers n'ont pas voulu participer à l'opération. 

_ le délégué syndical arrivé vers 1995 ne s'est pas intéressé au point essentiel de la réforme : la valeur du point, qui est resté bloqué à son niveau initial. Le salaire de base est finalement redescendu au niveau du SMIC.

la création du centre de formation

Après la cession de l'activité "colles de bureau" un espace s'est libéré. Il a été transformé en centre de formation. avec des exposés techniques le matin et des démonstrations l'après-midi.

Le projet a été homologué, ce qui permettait aux entreprises de récupérer tout ou partie des frais engagés (essentiellement le transport et l'hébergement).

 

Le centre a connu un succès immédiat, surtout le jour, où j'ai fait venir Roland Cresson avec comme Thème "les conneries à ne pas faire et quand on les a faites, comment les réparer". Il a fallu refuser du monde.

 

Par contre il y avait deux obstacles majeurs que nous avions sous-estimés:

_ la disponibilité des peintres et des enduiseurs,

_ l'absence de vie nocturne aux environs ("Fontainebleau" fermait à 20H).

 

La formation se fait désormais chez les clients.

 

C'est à peu près à cette époque que j'ai suggéré un changement de nom; pendant quelques années Beissier a pris le nom de Dyckerhoff Matériaux. C'était une grave erreur

_ tout d'abord les structures des sociétés changent et aujourd'hui le propriétaire c'est Sto

_ pour les gens du bâtiment Matériaux = blocs de béton, briques, ciment...

_ certains fournisseurs ont exigé des références que nous n'avions évidemment pas sous le nouveau nom. Cela a perturbé plusieurs relations client-fournisseur, notamment parmi les plus anciennes.

On est vite revenu au nom d'origine.

 

Bien communiquer n'est pas facile

 

Absorption de la société SRS (résines synthétiques)

 

La société SRS était filiale de la société suisse HILTI. L'une des sociétés du groupe Dyckerhoff ayant acheté la société équivalente en Allemagne nous avons été contraints de faire de même.

 

Il n'était pas question de conserver deux usines distantes seulement d'une vingtaine de km.

Le transfert n'a pas posé de problème particulier; il a fallu seulement se serrer un peu. Le problème était dans la commercialisation des produits.

Il a finalement fallu vendre cette activité. 

 

A l'occasion des travaux de ravalement de la résidence de l'Orangerie l'entreprise retenue a utilisé sur les balcons un produit de la société, qui avait racheté notre activité de résines synthétiques; elle avait acheté également la société CHRYSO, que nous avions visité en son temps.

Pour un peu c'était le produit que nous avions vendu qui aurait été appliqué à l'Orangerie

Son chiffre d'affaire est en baisse régulière. 

 

En fait c'étaient des produits complexes fabriqués par des sociétés de petite taille, donc fragiles, et tributaires essentiellement de la réalisation de grands chantiers. C'est fondamentalement différent de la vente des enduits ou des peintures . D'un côté des produits vendus sur catalogue et de l'autre des produits spécifiques pour des chantiers aux-mêmes spécifiques.

 

Il est difficile et parfois même suicidaire de vouloir gérer des activités aussi différentes; c'est ce qui nous est arrivé. A une échelle beaucoup plus petite on a retrouvé les problèmes de Rousselot/Ceca.

 

J'ai découvert à cette occasion comment on transforme un problème commercial en problème technique. 

 

fabrication  de colles carrelage

 

L'idée de départ était bonne; nous avions de la place et des gens compétents pour un marché actif. L'unité de production des produits pulvérulents était compacte et facile d'utilisation.

Il a manqué ici encore une analyse du marché. La situation en Allemagne est probablement différente mais en 1999 il  y avait en France 7 fabricants seulement pour 27 distributeurs. Il y avait donc un modus vivendi qui a été perturbé par notre arrivée. Après avoir fabriqué 10000 tonnes de colle carrelage l'unité de fabrication a été démontée.

les conséquences de la trop grande dispersion des activités

Une société doit vivre avec son temps.

 

Les colles de bureau ont été vendues parce que les circuits de vente avaient changé; l'acquéreur a commis la même erreur et il a dû revendre lui aussi l'activité, qu'il venait d'acquérir.

 

Il y avait 300 fabricants de peintures en 1989 (600 en Espagne); combien en reste-t-il aujourd'hui?  De plus la plupart des gros fabricants ont absorbé leurs distributeurs, réduisant ainsi drastiquement le nombre de clients potentiels. Il ne restait alors plus beaucoup de place pour des indépendants à moins d'être spécialisé dans un créneau particulier. On le verra plus loin.

 

Les adhésifs et les résines ont eté vendues. Les peintures et les colles carrelage ont été arrêtées. 

 

Beissier se concentre désormais sur son métier de base, les enduits, où il y a peu d'acteurs. Il y a 20 ans nous avions en gros 50% du marché en France. Je ne sais pas quelle part a Beissier aujourd'hui, sachant que nous décliné à l'époque des appels pour acquérir des concurrents importants mais le groupe Dyckerhoff avait d'autres soucis. Par contre les principaux concurrents avec lesquels nous avions des contacts étroits se sont surtout développés à l'export, notamment la Pologne. 

 

Je constate néanmoins avec plaisir que la tendance que j'avais essayé d'initier (sans succès à l'époque)  il y a 25 ans (les enduits airless) se trouve maintenant en tête de l'argumentaire.

 

le déménagement du siège social

Les progrès de l'informatique auraient pu rendre ce déménagement inutile. Même pour une PME cela entraîne des perturbations car les temps de la production et ceux du commercial ne sont pas les mêmes. D'un autre côté cela a pu rassurer certains fournisseurs; en effet autrefois les fournisseurs étaient interdits d'usine et beaucoup se demandaient à quoi pouvait ressembler l'outil de production (il n'y avait pas de google earth à l'époque), quand ils sortaient des anciens bureaux de la Place Daumesnil.

Après

C'est peut-être aller un peu vite mais l'évolution du marché français n'était pas celle du marché allemand en 2000. Les dificultés rencontrées alors pour faire passer des messages ont été pour une large part responsables de la situation.

En effet la chute du mur a propulsé les société allemandes vers l'est avec deux conséquences:

_ l'assèchement du marché et 

_ le réveil des sociétés locales.

 

L'un de nos partenaires se glorifiait d'avoir développé un système de rénovation des sanitaires; ils en ont vendu des quantités énormes et après? Il n' y avait plus rien à rénover. Une autre société a construit à la va vite une nouvelle unité de production, surélevé un immeuble de bureau sans autorisation et construit un magasin de grande hauteur sans penser à valider les fondations; on aurait dit une nouvelle tour de Pise.

 

D'un autre côté les entrepreneurs locaux, notamment les polonais, ont été choqués par cette nouvelle invasion allemande, puis ils se sont ressaisis. Ils ont commencé à prospecter les anciens Länder autour de Berlin, puis les Länder de l'ouest avant d'arriver en France. Nous avons à l'Orangerie un exemple de cette migration réussie. 

 

Pendant toute cette période et malgré nos signaux d'alerte nous avons été contraints de conserver pendant des années des activités coûteuses, qui ont fini par couler la société. Finalement ous avons vendus ou fermé tout ce qui n'était plus dans le métier de base de la société.

 

On retrouve en fait d'une certaine manière l'évolution de la société Rousselot, qui n' a pas vu le passage au numérique ou l'augmentation de la pression écologique. La plupart des autres fabricants de gélatine ont d'ailleurs fermé. S'adapter à un changement radical d'environnement n'est pas simple.

D'une certaine manière les commissaires aux comptes du CCE de Rousselot nous avaient déjà mis en garde il y a bientôt 40 ans. 

 

De son côté le groupe Dyckerhoff a également été vendu par appartement. Le ciment a été cédé au groupe italien Unicem de la famille Buzzi.

Gert Dyckeroff, qui a été chargé de la vente, a bien voulu me faire part de ses soucis lors de notre dernier entretien; sa marge de manoeuvre était en fait très étroite. 

 

La gouvernance de la société a été modifiée; j'ai quitté l'usine puis la société Beissier a été acquise par Sto il y a 20 ans.

 

 

En conclusion 

 

Il peut être intéressant cependant de comparer l'évolution des deux sociétés, Rouselot et Beissier, toutes les deux nées au 19ème siècle et ayant débuté dans la fabrication de gélatine. Pour Beissier c'était au départ de la gélatine extraite de peaux de lapin, utilisée surtout dans la fabrication des billets de banque. Rousselot s'est orientée vers la gélatine extraite des os, notamment celle des os de bovins (Argentine et Inde), destinée à l'industrie de la photographie. Toutes les deux se sont livrées dans la diversification : les afhésifs d'abord, puis les peintures et les enduits pour l'une, les résines et les additifs pour polymères dans l'autre. 

 

Rousselot s'est lancée dans un frénésie d'achats, notamment dans les adhésifs avec deux achats de sociétés par an pendant plusieurs années. En 1980 il y avait une trentaine de personnes affectées  à la mise au point de nouveaux produits. Pour sa part Beissier à évolué dans le même sens mais avec des ambitions plus modestes : il n'y avait que deux chimistes en 1989. Face aux même portefeuille de clients le combat était perdu d'avance, notamment dans les colles et adhésifs. 

Aujourd'hui, si les adhésifs de Rousselot se sont fondus dans Bostik, toutes les autres activités ont disparu. Après la crise de la vache folle et l'affaire des peaux de porc la gélatine aussi a bien baissé. Curieusement nos anciens fournisseurs ont été repris par Gluecom, société, qui avait racheté le repreneur de notre activité "adhésifs".