10 ans chez Rousselot

 

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C'est en lisant le Monde à Boulogne que je suis tombé sur une offre d'emploi à Meudon -Bellevue.

 

La société Rousselot cherchait un ingénieur dipplômé de l'ESPCI.

 

J'ai pris rendez-vous et été pris tout de suite. Il avait déjà un ancien PC dans le laboratoire, qui avait été construit pour Albert Rousselot, ancien de l'ESPCI et l'ancien responsable marketing était aussi de l'ESPCI.

Je suis resté chez Rousselot de juin 1975 à décembre 1985 avec des changements de poste et de nom de société. 

En fait il y a eu en premier le laboratoire de Meudon 1975 à 1982, puis le laboratoire a déménagé à Ribécourt (Oise) sur le site industriel. En 1985 avec l'absorption de  Rousselot Ceca j'ai cherché une solution, qui ne fut pas la bonne.

Meudon Bellevue

Le laboratoire a disparu aujourd'hui pour laisser la place à des immeubles d'habitation.

En 1975 il occupait deux bâtiments séparés mais reliés par les caves:

_ une vieille maison de maître commencée vers 1870 et jamais terminée; elle a été aménagée en laboratoire pour Albert Rousselot

_ une construction  récente basée sur une structure métallique et non isolée.

Le reste de la propriété comprenait la villa de la famille propriétaire de Rousselot et un immeuble d'habitation (le "collectif") destiné à loger les nouveaux ingénieurs.

 

En théorie l'accès à partir de La Celle Saint Cloud était simple : 10km environ en voiture. Par les transports en commun c'était plus difficile. Le plus commode c'était de prendre le train à Versailles Chantiers et descendre à Meudon Bellevue. mais encore fallait-il rejoindre Versailles. Par la ligne de Saint Nom il fallait descendre à Saint Cloud, rejoindre le pont de Saint Cloud (à pied), prendre le ligne Puteaux-Issy qui avait un fonctionnement aléatoire et monter par les Brimborions. La ligne de bus qui rejoignait le pont de Sèvres (et qui existait en 1968) a été suspendue un moment puis remise en service plus récemment sous le numéro 426. En 1975 ce n'était donc pas une solution. 

Finalement il a fallu se résoudre à conserver la Renault R4 après l'achat du second véhicule (Renault R12) mais le passage par la grande descente de Ville d'Avray à Sèvres n'était pas toujours de tout repos. 

 

En 1975 Le laboratoire était divisés en unités dédiées : adhésifs en phase aqueuse, adhésifs en phase solvant, colles thermofudsibles, résines thermodurcissables et additfs pour matères plastiques. Chaque unité était à peu près construite sur le même modèle : un cadre, un agent de maîtrise et un technicien (parfois plusieurs). Il y avait des services support, notamment un laboratoire analyse.

Contrairement à Pierrefitte-Auby la pression du marché était permanente, surtout dans le domaine des adhésifs..

Les commerciaux arrivaient le vendredi après-midi les poches pleines d'échantillons de produits concurrents et revenaient le lundi suivant chercher la solution. Pour les autres produits on avait un peu plus de temps.

Une fois le nouveau produit validé par le client, il fallait en fabriquer plusieurs kilos, ce qui se traduisait par un déplacement sur le site industriel de Ribécourt, où se trouvait l'atelier pilote.

Il y avait pratiquement un représentant du laboratoire à Ribécourt chaque jour, parfois deux.

J'avais au départ la responsabilité des trois unités "colles" mais le courant ne passait pas avec les commerciaux. En 1977 j'ai repris les additifs pour matières plastiques. 

Le PC qui était déjà en place à mon arrivée m'a avoué par la suite, qu'il m'avait un peu savonné la planche.

Par tradition le dernier ingénieur embauché au laboratoire devait se présenter au bout d'un an aux élections du comité d'entreprise, ce que j'ai fait pour devenir quelques années plus tard le secrétaire du CE du siège social puis délégué au Comité Central d'Entreprise.

Cela a permis de nouer des contacts avec d'autres salariés de la société ou des personnes extérieures sans constituer pour autant un réseau.

J'ai probablement croisé à cette époque un jeune ingénieur allemand, le Dr Grochal, que j'ai rencontré près de 30 années plus tard chez Sto.

 

La société Rousselot était à l'origine une société familiale spécialisée dans la fabrication de gélatine. La famille propriétaire (le patronyme Rousselot avait disparu) a souhaité vendre. Elle a trouvé un acquéreur en la société anglaise BP. Le gouvernement n'a pas donné son aval et obligé la société Elf à acheter Rousselot. 

Le nouveau PDG a décidé qu'un laboratoire ne pouvait pas être en banlieue mais sur un site industriel. Fin de la première partie.

Ribécourt

L'une des premières décisions prises par le nouveau PDG, ancien directeur de l'usine de Lacq, a été de transférer le laboratoire sur le site de Ribécourt à près de 120km de Paris.

Ma première réaction a été de chercher un autre job.

Le futur laboratoire était en construction le long du canal du Nord et devait accueillir 33 personnes.

A 6 mois du déménagement seulement 8 techniciens avaient donné leur accord de transfert, dont le futur directeur venu de Tarbes.

La "direction" m'a alors proposé la codirection du nouveau laboratoire ou plutôt le poste de co-responsable. Après consultation j'ai donné mon accord; la direction de l'usine a mis à ma disposition un logement à proximité.

Avec l'autre co-responsable nous avons embauché les effectifs manquants, près de 25 personnes. L'ouverture a eu lieu le 3 janvier 1983.

Bien évidemment nous avions transféré le mobilier vétuste et déparéillé de l'ancien laboratoire. La direction générale ne l'a pas apprécié et nous a donné immédiatement un crédit pour renouveler tout le mobilier. 

 

Il a fallu en quelques mois former les 25 nouveaux arrivants. Heureusement les services commerciaux ont joué le jeu et créé une sorte de barrage filtrant pour nous permettre de démarrer. Les urgences précédentes ne l'étaient donc pas tellement.

 

J'avais en charge l'atelier pilote qui a été complètement réorganisé.

Le changement de PDG a eu une autre conséquence. En entrant dans un groupe pétrolier cela donnait des perspectives nouvelles, dont celle d'étendre les activités en direction des additifs pour la production de polyoléfines.

L'effectif a suivi avec de nombreuses embauches puisque nous étions devenus 55 fin 1985, dont 5 venus d'une société achetée entretemps;

plus de 40 embauches en 3 ans avec tout au plus 3 licenciements. Ce n'est pas si mal.

 

Pourtant ces embauches à rythme accéléré (malgré des blocages par le service du personnel, qui n'arrivait pas à suivre, ont mis en avant deux problèmes.

Tout d'abord les choix faits par les niveaux hiérarchiques supérieurs se sont souvent révélés désastreux. En cas de difficultés ils ont oublié très vite leur implication dans le processus d'embauche.

Il y a eu ensuite l'embauche de surdiplômés, dont l'objectif final était de  prendre la place du caliphe. 

Le principal inconvénient était cependant le temps de déplacement :120km = 90mn au minimum le matin et 2 à 3 heures le soir. Ce n'était pas réaliste à long terme même si le responsable de l'atelier pilote le faisait tous les jours.

 

Le directeur de la division, Fred Ballagny, a bien senti le problème et décidé de déplacer ses réunions de direction au mercredi, ce qui limitait le nombre de trajets à deux par semaine, moins en fait avec les déplacements chez les clients ou chez Elf à Lacq.

Il fallait néanmoins trouver une solution.

Administrateur éphémère  

Ayant changé de site je perdais mes mandats de membre du CE et de membre du CCE. Par contre suite à la décision du Gouvernement de faire élire des membres du personnel au conseil d'Administration des sociétés nationalisées  je me suis retrouvé membre du CA de Rousselot, du moins pour quelques mois.

On retrouve CECA

Dans le CA de Rousselot il y avait des gens d'Elf et de Sanofi, dont Jean René Sautier son fondateur et Jean François Dehecq son directeur général.

La fusion des deux sociétés à parts égales avait été annoncée. Je me souviens de l'AG. Nous avions à peine voté la fusion et l'encre n'était pas encore sèche, que la nouvelle société annonçait le transfert des activités chimiques à la société CECA. Je me retrouvais donc dans la société, que j'avais quittée 10 ans plus tôt.

 

L'organisation de la recherche a également changé et je me trouvais rattaché à une direction, dont je n'avais pas un bon souvenir. 

 

La nécessité d'une autre solution devenait plus urgente. 

Cela ne pouvait pas marcher

Au delà des grands discours des dirigeants sur la complémentarité entre la pharmacie et le gélatine il y avait pourtant un constat que j'aurais pu faire.

 

En 1981 une société américaine, Synpro, est venue nous vendre une licence pour la fabrication de stabilisants pour le PVC. En arrivant à New York j'ai eu la possibilité de visiter sa maison mère de l'époque Dart-El Paso, elle même filiale du groupe Kraft. 

Le groupe Kraft s'est vite rendu compte que cela ternissait l'image du groupe et s'en est séparé. C'était prévisible dans le cas de Sanofi, société orientée vers la pharmacie, les parfums... La chimie n'avait rien à y faire.

 

De son côté Sanofi s'est débarassée assez vite de la gélatine, dont les modes de production consomment des quantités d'eau imposantes et sont à l'origine de rejets particulièrement encombrants. La plupart des autres fabricants ont été contraints de fermer leurs unités.

C'est le cas notamment d'un fabricant allemand, Fritz Häcker, qui se contente désormais de purifier des gélatines brutes. Pour fabriquer près de 3 000 tonnes par an de gélatine (1% du marché mondial) il devait traiter 20 000 tonnes de produit brut sans compter les quantités énormes d'eau nécessaires. Sur un marché évalué à 320 000 tonnes par an de gélatine, cela veut dire qu'il faut quand même traiter 2 000 000 tonnes de déchets!!

 

La gélatine photo, fleuron du groupe Rousselot et vache à lait, a disparu; la gélatine  alimentaire à base de déchets de bovins a souffert de la crise de la vache folle et celle à base de peau de porc (pigskin) n'est pas bien vue (même la gélatie de bovins la plus pure en contient au moins 1%). Il ne reste finalement plus grand chose.

La division gélatine de Sanofi a été vendue à ...

Aujourd'hui, si le nom existe encore, c'est désormais une filiale de la société américaine Darling. Comme Fritz Häcker elle se consacre désormais à la fabrication de produits spéciaux.

 

La racine de Quebracho

Avant de quitter Rousselot, un mot sur la racine de Quebracho 

 

Pendant longtemps nous avons essayé de mettre au point une colle pour réaliser le collage de lamellés, sans succès. Les résultats des tests réalisés au CTBA étaient toujours insuffisants.

Il y avait néanmoins une société qui y arrivait.

 

Finalement la solution a été trouvée : Fred Ballagny a achèté la société en question.

Nous avons regardé la compositon de l'adhésif; a priori rien de particulier. 

En fait il y avait un additif curieux : de la racine de québracho, un arbre d'Amérique du Sud réputé pour sa dureté.

La société en question avait tout simplement appliqué le principe du béton  armé ("bon sang mais c'est bien sûr").

Le problème a été ensuite de se procurer la fameuse racine mais cela s'est révélé très difficile, voire même impossible malgré l'intervention d'un représentant local d'Elf.

 

Les chimistes ont préféré se tourner vers des fibres synthétiques dérivés de polypropylène ou de nylon. L'histoire ne dit pas si cela a marché.