La valse des étiquettes

 

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Le passage chez M&TChimie a été l'occasion  de découvrir un aspect des choses, que j'avais jusque là totalement méconnu.

 

En effet quand on achète quelque chose à un fournisseur, il n'est pas obligatoirement le fabricant mais souvent seulement un distributeur. C'est assez courant dans la grande distribution mais c'était moins évident dans l'industrie.

 

Aujourd'hui, qu'il s'agisse de la fourniture de gaz, d'électricité, d'essence, de forfait mobile, c'est devenu la règle.

 

Pour mémoire dans les années  60 il y avait à Brest plusieurs stations services, chacune avec des arguments de vente très différents, et un seul stockage d'essaence au port de commerce.

De même quand nous avons fait visiter la brasserie de Kerinou à des lycéens de Berleburg, toutes les bouteilles qui étaient dans la vitrine contenaient le même jus; seules les étiquettes étaient différentes. 

 

Pour renvenir chez M&T Chimie j'ai découvert dans l'armoire de mon bureau un courrier de mon prédécesseur, qui se moquait de moi ouvertement parce que j'avais trouvé des différences importantes en deux produits, qui venaient en fait de la même usine.

J'ai découvert quelques années plus tard, qu'un produit acheté en Allemagne était rigoureusement identique à un produit acheté en France, tous les deux provenant de la même usine espagnole de Tarragone. Mon chimiste était pourtant péremptoire : les deux produits n'étaient pas interchangeables.

 

vous êtes touchants de médiocrité

La situation inverse peut également se produire.

 

Un jour de 1986 nous avons eu un appel d'un concurrent important. Nous utilisions tous les deux la même license et conservé tous les deux la même référence américaine, seuls les noms de marque étaient différents. 

Leur usine était près de Heidelberg dans une vallée étroite entourée d'une superbe forêt.

Le produits fabriqués dans cette usine étant toxiques les "verts" locaux ont demandé à la société de cesser leur production. 

Nous avons donc reçu nos homologues allemands un jour de 1986. Il n'y a pas eu de difficultés pour nous mettre d'accord et le reste de leur visite a été consacré au Musée d'Orsay, qui venait de s'ouvrir.

 

Quelques semaines plus tard nous sommes allés chercher les documents : formule et conditions d'étiquetage.

Surprise en arrivant : la forêt avait disparu. En effet les "verts" pour protéger la forêt avaient décidé de la supprimer.

 

Nous sommes rentrés avec la formule allemande. Elle était régigée en kilogrammes, alors que la nôtre était restée en livres (sacs de 25 kg au lieu de sacs de 50 livres).

Nous sommes évidemment passés immédiatement à la formule allemande.

L'emballage était rigoureusement identique : sacs en papier blanc avec une étiquette format A4 et des inscriptions similaires; seuls le nom de la société et le numéro de lot étaient différents.

 

Parmi les plus gros utilisateurs il y avait une autre filiale du groupe Elf, qui avait à l'époque son siège social à La Celle Saint Cloud mais son laboratoire dans la banlieue Lyonnaise. 

La société utilisait depuis longtemps la version allemande. Nous avions tenté notre chance à plusieurs reprises et proposé notre version sans succès.

Nous sommes retournés une dernière fois avec le produit fabriqué selon la formule allemande. Refus catégorique encore une fois et le responsable du laboratoire Lyonnais a prononcé la phrase suivante:

"vous êtes touchants de médiocrité".

 

Nous ne l'avons bien évidemment pas contredit mais je suppose cependant que quelqu'un a bien fini par le mettre au courant.

 

De toutes manières après la disparition de M&T Chimie Ceca s'est débarassé de la chimie héritée de Rousselot, les adhésifs sont passés chez Bostik et les autres produits ont été cédés à des société concurrentes, notamment allemandes et néerlandaises. L'atelier a été démonté pour être remplacé par un parking.

 

La situation dans le bâtiment n'est pas très différente, du moins si la règle n'a pas changé récemment.

Pour les produits soumis à avis techniques, le document est émis au nom du fabricant mais la liste des distributeurs figure en clair sur l'avis technique. 

Dans le cas des colles carrelage en poudre il y avait il y a une vingtzaine d'années 7 fabricants seulement pour 27 distributeurs.